11 juin 2006

En quête d'histoire culturelle


"L'âme du monde à cheval" (Hegel)

NOTE DE LECTURE:

En quête d'histoire culturelle : Conférence Philip Maurice Deneke, 1967 / E.H. Gombrich ; Trad. de l'anglais par Patrick Joly. - Paris : G. Monfort, 1992. - 87 p. ; couv. ill. en coul. : 19 cm. - (Imago Mundi).

trad., de : "In Search of Cultural History".
Bibliogr. p. 81-87.
ISBN 2-85226-052-2


Il s'agit d'une critique de la notion de culture telle qu'elle se conçoit traditionnellement en histoire culturelle ; en fait, une critique de la Geitesgeschichte que je traduirai par Histoire des mentalités, terme qui ne figure pas dans l'ouvrage cependant. Le projet fait penser à Geoffrey Lloyd. Mais tandis que les préoccupations de celui ci s'appliquent à l'histoire des sciences, Gombrich est d'abord un historien de l'art et de la culture.
Au cour des premières pages, il déplore l'ambiguïté du mot culture qui dénote souvent des jugements de valeurs qui n'ont pas leur place dans l'épistémologie de l'histoire.
Les faiblesses de ce concept (existe t'il des éléments concrets accessibles à l'étude qui permettent de définir une culture passée ou "l'esprit" d'une époque) auraient pour origine l'influence de la philosophie hégélienne de l'histoire qui serait une tentative pour substituer aux anciennes eschatologies judéo-chrétiennes (l'Histoire comme réalisation finalisée d'un plan divin), un plan déterministe développé dans une cosmogonie athée satisfaisante pour l'esprit rationaliste mais tout aussi arbitraire sur le plan heuristique d'après l'auteur.

Il ne s'agit pas de mettre Hegel en accusation mais de montrer comment sa philosophie de l'histoire a constitué par son encyclopédisme l'expression la plus brillante d'une tendance de l'intellect qui cherche à structurer un ensemble de faits hétérogènes dans un schéma mécanique finalisé (l'avènement de l'Esprit) et par là, rassurante.

Ce qui est d'abord contesté c'est la possibilité d'extraire parmi les traces léguées par le passé des faits qui seraient l'expression de l'esprit d'une époque : Napoléon n'est pas l'âme du monde à cheval (Hegel) et Gertrude Stein n'incarne certainement pas à elle seule l'esprit son temps (Volkgeist). C'est l'espoir partagé par beaucoup d'historiens de pouvoir montrer l'unité organique de toute une époque que Gombrich aimerait dissiper. Il montre comment cet espoir a porté l'oeuvre des plus grands historiens ; Burckhardt en particulier dont l'influence sur la manière de faire de l'histoire est encore importante aujourd'hui.
Malgré tout Gombrich semble ne pas vouloir abandonner complètement l'idée de cohérence des faits en histoire ; l'historien de la culture doit mettre en évidence des continuités. Il s'agit toujours de rapprocher des faits mais de le faire dans la diachronie plutôt que dans des études synchroniques (pour employer les termes des linguistes) comme Burckhardt à pu le faire pour la Renaissance italienne.

Le dernier chapitre est un plaidoyer pour l'histoire culturelle. Le passé s'éloigne de nous de plus en plus vite. L'espace humain en pleine mutation dans sa fuite en avant semble ne pas se soucier de conserver la mémoire de ce qu'il tient désormais pour révolu et les moyens pour les hommes d'aujourd'hui de comprendre ce que furent les hommes du passé semblent tomber en une fine poussière qui file entre nos doigts. Gombrich redoute que sa critique mette de l'eau dans le moulin de ceux qui voient dans l'histoire culturelle une matière qui mobilise des crédits publics qui seraient peut-être mieux utilisés si on les affectait à la recherche sur les nano-technologies par exemple. Voici la conception du travail qu'il propose.

Extrait :
Il est plus judicieux de connaître Shakespeare ou Michel-Ange que de "faire des recherches" sur leurs œuvres. La recherche n'apporte pas forcement quelque chose de neuf, mais la connaissance des œuvres est un plaisir et un enrichissement. Il semble vraiment dommage que les universités soient organisées de manière à occulter cette différence. Une bonne partie du malaise qui règne autour des humanités pourrait se dissiper du jour au lendemain si nous prenions conscience du fait que nous n'avons pas à singer les scientifiques pour rester respectables. Il y a peut-être une science de la culture, mais celle ci relève de l'anthropologie et de la sociologie. L'historien de la culture se doit de devenir un érudit, non un scientifique. Il se doit de rendre accessible à ses étudiants et à ses lecteurs les créations d'autres esprits ; la recherche, à cet égard, est accessoire. Non qu'elle ne soit jamais nécessaire.(…) le véritable but de l'historien culturel est de servir la culture et non d'alimenter l'industrie universitaire.
Cette industrie, je le crains, menace de devenir l'ennemie de la culture et de l'histoire culturelle. Peu de gens peuvent lire et écrire en même temps ; et pendant que nous nous consacrons à nos recherches, sur des questions importantes ou d'un intérêt mineur, les chefs-d'œuvre du passé que nous laissons moisir sur les étagères nous regardent avec un air de reproche.

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