Paludes

Sur le vieux chemin vicinal les ronces et les fougères font grand tapage en été: il est difficile d'y pénétrer. Depuis longtemps on ne l'utilise guère plus. Le chemin des marais est mal famé auprès des gens d'ici. On dit que l'on n’y pénètre point sans en ressortir fou - si toutefois on en sort. Un souvenir d'enfance de mon grand-père semble conforter cette croyance.
Le septième jour, en fin d'après-midi les habitants du hameau entendirent le galop d'un cheval qui courait vers le lavoir. C'était une mauvaise jument décharnée dont les naseaux crachaient l'écume; elle transportait le corps d'un homme apparemment inconscient. Ses mains tétanisées empoignaient la peau des flancs décharnés de la bête qui traversa le hameau en se dirigeant vers le manoir.
L’homme était méconnaissable. La Marie, sa femme et la servante le trouvèrent vieillit de cinquante ans, lui qui en portait autant six jours avant. Ses cheveux et ses sourcils étaient devenus blanc comme sel. Son visage exprimait toute l’horreur qui avait emplit son être; quelle funeste rencontre avait provoqué un telle terreur ? Nous ne saurons rien. Un regard implosé ayant déserté ses yeux exorbités ; peau diaphane d’un visage dépigmenté semblable à une grosse pomme cuite. Une langue énorme pendait de sa bouche grande ouverte dont un cri de terreur avait du jaillir et s’éteindre dans l’air sourd des marais.
Lorsqu'il reprit connaissance il se montra incapable de parler et sa gorge n'articulait plus que de pathétiques grognements de bête.
L’homme demeura ainsi dans cet état lamentable de démence quittant rarement son grand siège de maître sur lequel il vivait recroquevillé. La Maude était devenue la nourrice de ce vieil enfant monstrueux; elle lui donnait à la cuillère ses aliments qu'elle broyait au pilon car il n'avait plus de dents. Ses lèvres mobiles comme celles d'un nourrisson les attrapaient toujours avec maladresse. Il ne fit jamais de progrès; il recrachait souvent comme par plaisir.
C'était aussi la Maude qui devait l'accompagner faire ses besoins aux cabinets; il s'y faisait porter par elle et se souillait souvent avant d'atteindre la chaise trouée.
De faible tempérament, la patronne trépassa et la servante resta seule à s'occuper du dément. La Maude était bien courageuse.
Un matin d'automne, la Maude comprit qu'elle était grosse. On retrouva son corps flottant dans l'eau du lavoir; entraîné par le courant, un avorton sanguinolent tournait autour d'elle comme un satellite naturel.
Mon grand-père tenait toujours à me préciser que la fin de cette histoire tenait de la pure superstition. Lui même n’étant pas un témoin direct de l’événement il le racontait tel qu’il se racontait dans la cour de récréation de son école où s'échauffaient de jeunes cervelles crédules. Lorsque devenu adulte il s’enquit à nouveau de cette histoire auprès de vagues témoins, il ne recueillit rien d’autre que le récit que je vous livre.

Il y avait à Ecrammeville un jeune paysan qui nourrissait dans son cœur simple un secret amour pour la Maude; timide il n'avait jamais osé lui faire sa demande. Rentré des champs au soir lorsqu'il connu le triste sort de la servante, il courut au manoir. Il trouva le maître dans son logis qui hurlait à la mort à la façon d'un chien accroupi sur son grand siège. Le paysan raconta par la suite que la tête du bonhomme avait prit l'aspect d'une hure de loup. Le hobereau d’Ecrammeville était un Varou, comme on appelle ici les loups garous. Courageusement, le jeune homme s’emparant d’une fourche, s'avança vers le possédé. Celui-ci ne l’avait d’abord pas encore vu mais dès que le paysan entra dans le champ de sa conscience il se rua sur lui. La fourche défonça la poitrine de la bête qui creva sur le coup.
On dit qu'une fois devenu cadavre, Jean de Vérigny avait recouvré ses traits d'avant. On ne sait trop comment sa dépouille se perdit dans les marais. On épargna la peine capitale au jeune paysan qui mourut à la prison de Caen.
Libellés : récit
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