04 juin 2006

Patois de Terroir






Alfred Rossel (1841 - 1926), Photo E. Legagneur



Il m'a semblé utile de traduire pour un public non patoisant la légendaire chanson en langue cotentine; Su la mé, d'Alfred Rossel. Non que le patois normand soit particulièrement difficile au horsain, elle ne l'est guère plus que celle de Montaigne à notre siècle. Alors que le sort de cette langue est scellé dans l'étroit confinement des bibliothèques de quelques chauvins patoisants, il m'a semblé dommage de tenir éloigné des esprits raffinés que les contigences du monde ont tenus éloignés de la terre du Cotentin, ce joyau qui est la plus belle illustration et la plus noble défense de la langue normande. C'est donc par la traduction, même imparfaite, que j'espère inciter le curieux à chercher dans la langue normande de nouvelles saveurs. Car le texte traduit révèle toute la gravité d'une chansonnette dont tous les normands s'amusent aujourd'hui. Le normand, généralement guère enclin au chauvinisme, ricanne de la langue de ses grand-parents tant il a bien intégré la norme républicaine. A contrario, seuls quelques poètes patoisants, petits bourgeois instruits nostalgiques des bocages, fascisants sur les bords, chantent encore cette langue avec une passion qui leur fait monter des rougeurs apoplectiques au visage; l'esprit viking les habiterait encore.




Pourtant avec cette chanson, on retrouve le paysan terrien enraciné à son sol, craignant la mer comme le diable; rien à voir avec l'autre normand, celui des ports et des côtes devenu un marginal d'assez mauvaise réputation.




On peut écouter l'air et le début de Su la mé en faisant un détour par ce lien (Partitions Fantômes est un site de l'Académie de Caen).
On trouve une version de ce texte en langue originale dans les Wikisources ; ainsi que sur les sites suivants; Christian Leroy , Michel LEBONNOIS et Magène. Toutefois les graphies recontrées sur ces sites ne sont guère conformes à l'édition (1913) des oeuvres complètes d'Alfred Rossel que j'ai en main et sur laquelle je fonde ma libre traduction.


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Sur la Mer








Refrain




Quand je suis au rivage


Bien tranquille, êtes-vous comme moi ?


Je pense à ceux qui voyagent


Qui voyagent au loin sur la mer


Qui voyagent au loin, qui voyagent


au loin sur la mer.






Couplets








I




La mer c’est vraiment superbe,


Et je l'aime bien par beau temps


L’été; elle borde l’enclos en herbe;


La vague s’endormant mollement.


Mais quand elle se fâche la vilaine !


Et qu’on entend de nos demeures


La grosse voix de la sirène


Nous en avons quasiment peur.








II




J’aime bien les jours de fête


Quand nos bateaux sont à quai


A l’abri de la tempête


A Cherbourg comme au Béquet


C’est là qu’ils sont le mieux sans doute


Des trois couleurs pavoisés.


Mais de nuit, dans la Déroute


Hélas !qu’est-ce qu’ils sont exposés !








III




Quand elle saute par dessus la digue


Dont elle fait trembler les poteaux


Quand le vaisseau à l’ancre fatigue


Vraiment, je pense à ces matelots;


Reverront-ils leurs villages


Et pourront-ils y atterrir ?


Il y a de si mauvais parages


Depuis Barfleur jusqu’à Goury.








IV




J’ai deux fils dans la marine


Deux forts et hardis gaillards


L’un s’en revient de Cochinchine


L’autre de Madagascar.


Ils rentrent leur corvées faites;


En y repensant je n’en reviens pas !


Comme je plaint sans les connaître
Tous ceux qui sont restés là-bas !

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