Les envoûtés

Roman écrit et publié en feuilleton l’année 1939 dans un journal polonais. On a cru les trois derniers épisodes non publiés jusqu’en 1986 où ils furent retrouvés imprimés en bonne place sur de vieux journaux préservés par miracle de la guerre qui éclata cette année là. La première édition française de ce roman paru chez Stock en 1977 était donc inachevée ; cette édition nous livre le texte intégralement traduit.
Roman de la veine fantastique avec château hanté.
L’écriture de ce roman feuilleton paraît typique de la littérature populaire, on y retrouve tous les ressorts de la paralittérature. Les distinctions sociales y représentent l’enjeu principal. Jusqu'à l’épilogue, qu’on eut pu croire bâclé dans lequel on apprend qu’un paysan (Handrycz) était en fait l’héritier légitime du prince, François le bâtard qu’on croyait mort était devenu amnésique ; ce genre de rebondissement sur l’identité d’un personnage est typique du roman populaire. Par ailleurs, Grombrowicz fait référence à ce genre de littérature dans l’épilogue précisément en expliquant avec ironie comment le véritable assassin de Maliniak s’était inspiré d’un roman policier (Dans le piège du vampire) pour commettre son acte.
Cet épilogue (longtemps resté inconnu du public et de la postérité) résout tous les événements fantastiques par des explications rationnelles dans lesquelles le surnaturel n’a aucune part.
Une ambiguïté seulement sur le propos de l’auteur ; l’homme qui résout l’énigme est un voyant présenté comme une sorte de chercheur en parapsychologie. Ils parvient à aider les personnages “ envoûtés ” du roman en partie grâce à son don de voyance (en se concentrant sur un stylo ayant appartenu à un personnage du roman il parvient à visualiser mentalement le personnage suffisamment clairement pour qu’il puisse décrire le lieu ou il se trouve afin qu’on vienne l’y chercher). Quelle ironie que cette façon de faire utiliser par un personnage une technique surnaturelle pour, au bout du compte, établir que les faits extraordinaires qui tourmentèrent les héros du roman n’étaient pas surnaturels mais des manifestations de leurs imaginations exaltées.
En fait bien des éléments de ce récit laissent entrevoir les mécanismes mentaux qui piègent l’imagination dans les peurs surnaturelles comme les histoires de fantômes ou les envoûtements. Ainsi l'organisation du récit nous fait bien sentir la vanité qu'il y a à s'enquérir du caractère d’autrui pour en prévoir les mouvements. L'entourage de Maya et Waltchak est persuadé que ces deux là se ressemblent par une étrange affinité de nature, bien que tout les oppose socialement. Les deux personnages s’observent mutuellement avec l’obsession de retrouver en l’autre des éléments de sa propre identité ; ils s’effrayent de trouver en chacun des tendances immorales desquelles ils s’étaient toujours cru préservés ; ils finissent par se persuader de leur nature perverse. Par dépit Waltchak, qui ne s’en serait jamais cru capable vole une somme importante à Maya ; celle ci découvrant le voleur en Waltchak se persuade qu’elle pourrait être elle même une voleuse ; plus loin, Wlatchak est persuadé que Maya a volé le portefeuille d’un dandy (réciproquement elle est persuadée que c’est Waltchak le voleur). Acmé de ce trouble jeu de miroir ; Waltchak devient à moitié fou quand toutes les circonstances le portent à croire (à tort) que Maya à assassiné Maliniak et réciproquement ces même circonstances persuadent (à tort) que Waltchak a tué Maliniak. Que les deux protagonistes de ce va et vient des apparences soient tous deux tennismen n’est pas fortuit ; au tennis les deux joueurs sont condamnés à s’observer mutuellement dans leur moindres réactions pour espérer tenir l’autre en échec. Asservis l’un à l’autre dans la symétrie du cours de tennis l’échange de balle se solde par la distinction d’un vainqueur.
La victoire de Waltchak sur le champion Wrobel est un moment ou le roman se rapproche le plus du roman populaire ; la victoire de l’homme de rien sur l’aristocrate arrogant.
On est aussi tenté de voir le château et son prince reclus comme une sorte de métaphore de l’inconscient blindé par la culpabilité. La réclusion volontaire du prince est liée à son sentiment de culpabilité vis-à-vis de son fils bâtard François qu’il n’a pas assumé et dont il a cru qu’il s’était donné la mort dans la Vieille cuisine pièce devenu hantée depuis. Entre le prince et son bâtard on peut voir la même relation coupable qu’entre Maya l’aristocrate et Waltchak l’homme de peu ; leur ressemblance créant entre eux un lien coupable qui leur fait perdre la maîtrise de leurs apparences.
Cette lutte contre ou avec les apparences est soulignée fortement avec ses manifestations d’ordre social. Les relations sociales, les statuts sociaux sont bien présentés comme un jeu d’apparence que savent utiliser pour en vivre Mme Halimska est ses jeunes protégées de Varsovie. Les murailles du château et la réclusion d’un prince rejetant la démocratie représentent bien cette sorte de blindage facial dérisoire d’une aristocratie ayant perdu la face.
Cette maladie des apparences doit être guérie ; elle est le gaspillage d’une énergie vitale consommée en névrose ; cette énergie qu’on retrouve dans les talent sportifs de Maya et Waltchak on la trouve aussi dans les œuvres d’art et les richesses celées dans ce château recluses avec le maître des lieux. Elles y sont l’objet d’un double enjeu ; elle attirent la convoitise d’un secrétaire cynique ayant gagné la confiance du prince pour capter un héritage qu’il suppose somptueux bien qu’incompétent pour l’évaluer; elles attirent la curiosité désintéressée d’un historien de l’art soucieux de restituer son patrimoine à la Pologne démocratique.
Libellés : illusions, livres, Note de lecture
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