09 avril 2008

Mécanique


A VENDRE


Ma passion des véhicules propulsés par des moteurs à combustion interne dépassait la raison. Il s'agissait d'un culte. J'avais dix-huit ans et je subissais l'attraction irrésistible de cette mécanique sacrée. Je ne rêvais que pistons, carburateurs, allumage par magnéto, changement de vitesse à double baladeur et cardans. Je ne prévoyais pas que mon idole allait devenir un monstre. Comment une soupape serait-elle capable de changer notre mode de vie, nos nourritures, la nature de nos plaisirs, notre façon de faire l'amour? [Jean Renoir, Geneviève, Flammarion, p. 10]




J'ai rendu mon permis de conduire ce matin à la préfecture; j'arrête de conduire. J'y songeais depuis des années, c'est maintenant chose faite. Je préfère la place du mort à celle du conducteur. Je ne sais que faire de la Juva; cette voiture - la seule que j'ai jamais conduite - je l'avais conservée en mémoire de mon grand-père disparu. La revendre un bon prix à un collectionneur me répugne. Je suis tenté de la céder à mon fieul mais je m'avise; ce n'est vraiment pas une bonne idée; il déteste la voiture autant que moi-même. Même s'il prend des leçons de conduite chez Verdurin, même s'il est certain qu'il aura le permis avant même d'avoir le bac, même si la Juva fut la voiture officielle des No-Brain son groupe de rock, même si pour aller étudier à Caen ou à Rennes être motorisé lui serait un confort. J'aurai l'impression de lui refiler une arme à feu en lui cédant ma Juva 4. Je lui ai transmis mon dégoût des bagnoles et je ne songe à la lui proposer que parce qu'il est capable de décliner l'offre; et ce n'est pas parce que la Juva dauphinoise ne serait pas assez sport à ses yeux. Il n'est pas un adepte du culte de l'auto, c'est tout. J'ai peut être un peu trop d'influence sur lui.

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