Après-Midi d'élections à Toulouse

Au milieu du trône et autour du trône,
il y a quatre êtres vivants remplis d'yeux devant et derrière. ( Ap. 4, 6)
En me dirigeant vers la place du Capitole je passe au milieu d'une bande de jeunes avachits sur un terre-plein encombré de voitures garées à la toulousaine. L'un d'eux m'interpelle et me demande, avec un fort accent du Québec, si la loi française autorise la consommation d'alcool sur voie publique. Pas très sûr de moi je finis par lui dire que, de toutes façons, après huit heure la France entière serait saoule comme une vache avec un mélange champagne / mort subite à cinquante pour cent (à l'heure où j'écris, vingt et une heure, j'apprend que cette proportion approche 53,35% de champagne et 46,65% de mort subite). Je me reproche quand même l'inspiration luciférienne qui m'a porté à encourager ces jeunes à s'exploser la tête à l'alcool. Je hais les salauds qui vendent de l'alcool et, c'est étrange, ce sentiment est, je l'espère, mon seul point commun avec le futur locataire de l'Elysée. C'est pourtant vers un bistrot que je me dirige.
Place du Capitole, je me décide pour le Florida; le guide du Petit Futé le signale comme une institution toulousaine à ne pas manquer. Curieux de voir jouir la France qui gagne, j'espérai y observer la faune qui allait bientôt s'envoyer du champagne. Je me met en terrasse. Très classique, la façade du Capitole fait sa mine blasée de rombière qui ne compte plus ses ravalements. Son classicisme bien rangé est en partie masqué par un rang de quatre camions de la télévision; sobrement peints en blanc, le logo discret, la parabole déployée sur le toit, les fourgons de l'info peinent à cacher leur vulgarité. Derrière eux, des tentes bâchées de blanc abritent des journalistes au garde-à-vous devant les caméras; l'un avec son profil d'aigle, semble guetter, le doigt sur l'oreillette, quelque mystérieux signal parisien et s'apprête à commenter les premières estimations locales. Il est seulement dix-huit heures. Côté Canal+, une jeune journaliste dispense un laïus dans un débit soutenu; je n'entend pas ce qu'elle dit. Debout sur une caisse en plastique comme un prédicateur de Hyde Park, elle est vêtue d'un petit haut pourpre qui, à la caméra saura passer pour strict, tandis qu'en dessous, hors-champ, un jean et des tennis essayent de se faire discrets. Du côté France-Télévision, un élégant sexagénaire à chevelure léonine, sans doute un prof de Science Po, tient compagnie à un journaliste adossé à un camion Spangherro avec son logo à tête de bœuf; avec une nonchalance patricienne, ils semblent attendre que l'heure passe; parfois ils échangent quelques courts propos sur le ton calme de l'indifférence courtoise. Je m'assied donc à cette terrasse face à l'horloge Capitoline, plus ou moins en attente moi aussi. Je consommais un chocolat liégeois en potassant le dossier que m'avait envoyé Ligneux. Autour, beaucoup de femmes qui papotent entre copines. N'ayant pas mon matériel de dessin, je reste concentré sur cette histoire de diable de bénitier; Saunière, le curé de Rennes le château aurait fait mouler, dans une mystérieuse matière ayant des propriétés radiatives comparables à celles des mégalithes de Bretagne, un diable que chacun nomme Asmodée (comme le diable boiteux de Restif de la Bretonne et de Lesage). A dix-huit heures trente, une bagnole immatriculée 93 passe en trombe; un rap à haute-pression s'expulse comme des salves de mortier depuis les vitres ouvertes du véhicule; devant la terrasse du Florida, le passager et le chauffeur nous adressent un doigt en vociférant un tas de mots probablement insultants parmi lesquels je n'ai pu distinguer que le nom de Sarkosy. Dix-neuf heure trente; au fond de ma tasse, subsiste encore une fine écume chocolatée qui est sur le point de se figer; je dois renoncer à ces quelques molécules sucrées que je ne peux plus aspirer à la paille sans faire de bruits inconvenants. A côté de moi, comme deux points de phosphore, l'éclat vif des talons rouges de ma voisine ne cesse de me distraire du dossier Asmodée. Je renonce à attendre vingt heure. En 1995, la première victoire de Chirac m'avait déjà bien convaincu qu'une hystérie collective de droite ressemble en tous points à une hystérie collective de gauche. Que vais-je apprendre de plus? Je n'attendrai pas non plus la troupe des perdants qui ne manquera pas de venir crier pacifiquement vade retro, sur la grande place: grisés par l'odeur du souffre ils viendront s'immoler devant le Léviathan; en déposant leurs nuques sous le talon des bottes et démontrer ainsi, aux télés remplies d'yeux, que l'Elu est la Bête. Il faudra pour cela qu'on casse quelques vitrines.
Libellés : pouvoir
0 Comments:
Enregistrer un commentaire
<< ACCUEIL