24 juin 2006

Verdun modèle du monde?

Monument aux mort de la Ville de Trévières (Calvados).

Ce Bronze d'Edmond de Laheudrie a été inauguré en 1921. Il évoque Athena Niké la déesse de la victoire et de la paix. En 1944, un obus allié paracheva cette œuvre en la défigurant de si horrible manière que les Trévierois la laisse désormais en l'état considérant qu'ils ont là, figé dans le bronze, un impérissable témoignage des oeuvres de la guerre pour l'édification des générations futures.

Alors qu’il exerçait la médecine sur la Riviera anglaise à l’hôpital de Torquay mon grand-père qui avait la violence guerrière en dégoût ne pouvait se résigner à l’idée d’une humanité incurablement meurtrière. C’est à l’occasion d’une Murder Party chez sa jeune amie Agatha (qui venait juste d'épouser Archibald Christie, fringant aviateur appartenant au Royal Flying Corps), que mon grand-père imagina de modéliser le jeu de la violence dans l'évolution de la population humaine. Ce soir là, les invités de Mr. et Mrs Christie se divertissaient avec une variante sophistiquée du jeu - un jeu dit à pouvoir variable - variable power game. Dans ce jeu chaque participant est affecté, un peu comme dans les Donjons & Dragons, de caractéristiques mesurées en points dont les grandeurs sont tirées aux dés avant le début de la partie.
Dans le texte qui suit, mon grand-père décrit un modèle qui fait irrésistiblement penser aux automates cellulaires du célèbre Jeu de la vie de Conway. Mon grand-père n’a jamais entendu parler d’informatique et la notion d’automate cellulaire lui était totalement étrangère. Il ne pouvait donc imaginer que son système puisse être programmé dans un ordinateur pour être testé. Il n’y avait tout simplement pas d’ordinateur à l’époque où ce jeu a été conçu. Est-ce dans le même esprit que Guy Debord inventa son Jeu de la guerre? J’affirmerai que non. Pour mon grand-père le but était de construire un modèle de l’humanité pour l’aider à maîtriser son évolution et sa violence.

Guy Debord, IN GIRUM IMUS NOCTE ET CONSUMIMUR IGNI

Le jeu de la violence

Torquay. Septembre 1914
On ne me croira peut-être pas mais bien que pacifiste convaincu, je suis un type hyper violent. C’est parce que je ne m’aime pas moi-même. Voyez, si je me croisais dans la rue, je me foutrais immédiatement une mandale dans la gueule ; il n’y a pas beaucoup de gens avec qui je me comporte ainsi. Cette vérité intime est au fondement même de mon pacifisme. J’abhorre les armes, la guerre et la violence et postule qu’il faut inverser la célèbre phrase de Clausewitz, ce qui donne; la politique s’est faire la guerre avec d’autres moyens.
Le violence se manifeste quand les moyens d’action spécifiques à l’humain sont réduits à l’impuissance. Ces moyens d’action spécifiques à l’humain sont strictement intellectuels et donc immatériels ; ils sont donc invisibles à autrui et intimes à celui qui les possèdes. Echappant aux sens il est impossible sans la connaissance intime d’un individu, de comprendre la réaction violente de celui-ci. La violence est toujours irrationnelle ; le conflit qui dévaste aujourd’hui les nations européennes en témoigne. Alors que s’ébauche une science de l’homme et que l’humanité est en train de prendre conscience de son unité, alors que de grands esprit comme M. Romain Rolland ont su porter leur regard au-dessus de la mêlée, les princes et les puissants entraînent leurs peuples dans des massacres inouïs ; et ce que font là les hommes, aucune bête ne l’aurait fait. Si la politique est un stade supérieur de l’évolution de la guerre je répugne à considérer la violence comme un état inférieur de l’humain, une émanation d'une sous-couche animale de l’être humain. L’animal n’est pas violent, parce qu’il ne se dégrade pas lui-même en tuant pour se nourrir. Tandis que l’homme, qui n’est pas un être de besoin mais un être de désir, tue parce que ses facultés dégradées n’ont pu lui permettre d’agir par les voies supérieures de l’intellect. Tant qu’on considèrera la violence comme un mal (au sens moral) on n’en sortira pas; la violence est une maladie. Pour en protéger la société on inventa la prison qui, de ce point de vue, constitue une sorte de Lazaret. Or la violence n'est pas la peste et la prison qui est une réponse violente à la violence n’est qu’une illusoire mise en quarantaine de la violence. Loin d’isoler la violence elle la propage dans les consciences en lui conférant une honorabilité qui a permis à M. Weber de dégager de nos automatismes mentaux collectifs le concept de violence légitime. Ma propre violence latente explique suffisamment à mes yeux la violence manifeste des autres pour faire du bannissement de toute hypocrisie en la matière un travail de la plus haute importance. Le jeu suivant est le fruit de réflexions personnelles initiées vers 1905. Les derniers développements, notamment l'adjonction d'une quatrième dimension (la Fertilité) sont venu plus tardivement ici en terre anglaise.

Théorie de la violence restreinte

Nous avons imaginé un modèle de l’humanité dont le but est de parfaire l’évolution politique vers plus de paix et avant tout vers la disparition de la violence ; disparition de tout violence. Le jeu que nous avons imaginé a pour but de constituer une sorte de modèle théorique de l’évolution des rapports humains sous l’angle de la violence ; qui de la violence ou du pacifisme (de la guerre ou de la politique) est susceptible de triompher sur Terre ? Cette société est composée d'individus. Ces individus se rencontrent dans l’espace du jeu ; ces rencontres se produisent selon des modalités qui dépendent des caractéristiques des individus qui sont au nombre de quatre. On ne retiendra que ces quatre caractéristiques pour définir chaque individu à savoir; la capacité de nuisance (ou force ou encore puissance notée P) , l’agressivité (A) et la mobilité (M) et la fertilité (F). La notion de puissance de destruction (P) est assez claire ; par exemple, on la mesure en nombre de morts après un attentat. La notion d’agressivité (A) est la mesure de la capacité d’effectuer une certain nombre d'agressions par nombre de rencontre effectuées (ex: sur 10 individus rencontrés il en agresse 7, s'il est agressif, 10 s'il est hyper-agressif). La mobilité (M) est la mesure d’un capacité à se déplacer sur le territoire, l’espace du jeu. Enfin la fertilité (F) est la capacité à engendrer de nouveaux individus. Ces quatre caractères sont des variables individuelles mesurées sur des échelles d'intensité ;

- P : la force (ou puissance, ou capacité de nuisance) pourrait se mesurer sur une échelle de 0 à 4 :
0 impotent total (tué ou neutralisé par la moindre agression)
1 faible (tué ou neutralisé par moins de 5 agressions sur 10 rencontres)
2 moyen (tué ou neutralisé par 5 agressions sur 10 rencontres)
3 fort (tué ou neutralisé par plus de 5 agressions sur 10 rencontres)
4 invincible (jamais tué ou neutralisé)
- A : l'agressivité serait aussi graduée sur une échelle de 0 à 4
0 pacifiste total
1 commet moins de 5 agressions sur 10 rencontres
2 commet 5 agressions sur 10 rencontres
3 commet plus de 5 agressions sur 10 rencontres
4 agresse systématiquement
- M : pour la mobilité, on la mesure aussi sur une échelle de 0 à 4
0 sédentaire absolu
1 peu mobile
2 mobile
3 très mobile
4 nomade
- F : Fertilité, sur une échelle de 0 à 4
0 stérile
1 monopare
2 multipare fertile
3 multipare très fertile
4 multipare prolifique
Cette société serait composée d'individus I dont les caractéristiques sont définies par un quadruplet (P ; A ; M ;F). Nous aurions donc des I(0 ; 0 ; 0 ; 0) (complètement impotent, complètement pacifiste, sédentaires absolus et stériles) mais aussi des I(0 ; 4 ; 4 ; 4) complètement impotents, complètement agressifs, nomades et prolifiques (ces derniers ne peuvent vivre longtemps car ils mettent sans cesse leur vie en danger, se sont des sortes de suicidaires qui utilisent les autres pour ce suicider tout en leur faisant des petits dans le dos). Il y aurait aussi des I(4 ; 4 ; 4 ; 4) des individus hyper agressifs, quasiment invincibles ; nomades prolifiques, incontrôlables violeurs ; ceux là sont les prédateurs suprêmes de cette société. Mais on trouvera quand même des modérés; individus moyennement agressifs et moyennement costauds ne voyageant que pendant les vacances se contentant de deux enfants ; les I(2 ; 2 ; 2 ; 2). Chaque valeur particulière d’un quadruplet (P, A, M, F) est donc un type de personnalité ou (éventuellement) de caractère.
On peut calculer qu’il y a 256 types (combinaisons avec ordre et avec répétitions de quatre chiffres choisis parmi quatre ; 4 x 4x 4 x 4 = 256) de personnalités ou de caractères dans cette société.
On se doute bien que l'évolution du système dépend des conditions intitiales, c'est-à-dire de la répartition quantitative de ces types de caractères dans la population initiale; ces variables du modèle sont a décider arbitrairement avant le lancement du jeu. Il ne me semble pas possible de dire à priori si une société à plus de chance d'avoir une minorité de I(4 ; 4 ; 4 ; 4) et une minorité de I(0 ; 0 ; 0 ; 0) et une majorité de I(2 ; 2 ; 2 ; 2) par exemple. Le I (2 ; 2 ; 2 ; 2) n'est moyen qu'en intensité de ses caractères ce n'est pas un individu moyen dans la mesure ou ses caractéristiques sont fréquemment rencontrée dans la société. Par conséquent cette répartition est une des variables à définir au départ du jeu. Par contre il semble évident que la répartition quantitative évoluera de manière déterminée vers une répartition finale en fonction de la répartition initiale. Ainsi une répartition initiale comportant une majorité de écrasante de I( 4 ; 4 ; 4 ; 4) risque d'aboutir à une répartition finale conservant et même accentuant cette majorité. Un des enjeux est de trouver une répartition initiale (R.ini) qui rendrait majoritaire de manière stable les pacifistes c'est à dire tout I (P ; 0 ; M ; F). En admettant que cette répartition initiale (R.ini) est un bon modèle de l’humanité d’aujourd’hui alors il adviendra un jour une paix universelle sur la Terre. Seulement voilà, ce modèle n’est certainement pas un bon reflet de la situation de l’humanité. Il est beaucoup trop simple. Il lui manque la prise en compte des contraintes de milieu géographique au modèle ci-dessus ; en effet l’espace du jeu ici est anisotrope, ses propriétés dont identiques dans toutes les directions; elles n’entravent pas les déplacement par exemple. C’est que le monde n’est pas composé que d’humains s’ébattant sur une surface lisse.
Prémices d'une théorie de la violence générale
Mais il faut définir une autre variable dans l'état initial de la société dont nous voulons suivre l'évolution ; il s'agit de la répartition géographiques des individus sur la surface de jeu. On peut imaginer par exemple une surface de jeu rectangulaire ne comportant dans la moitié gauche que des I(0 ; 0 ; 0 ; 0) et que des I (4 ; 4 ; 0 ; 0) dans la moitié droite ; il se ne passerait pratiquement rien dans cette société.
Il faudrait peut-être aussi ajouter un cinquième caractère qu'on pourrait appeler la grégarité, c'est-à-dire la tendance d'un individu à se rapprocher (forte grégarité) où à s'éloigner (grégarité faible) des autres individus.
Dans ce modèle nous n'avons pas cru nécessaire d'introduire la notion de défense; tout individu agressé répondra aux agression en proportion de sa propre agressivité (le pacifiste tend la joue gauche, l'hyper-agressif répond immédiatement), mais aussi de sa mobilité par exemple (le très mobile s'enfuit). Par conséquent, l'aptitude à se défendre est n'est pas une caractéristique supplémentaire; elle est contenue dans les autres caractéristiques.
Ce modèle n'est pas cependant très fin car il suppose que les individus n'apprennent rien. On pourrait imaginer que les caractères de chaque individu changent avec leurs expériences de la vie. Un pacifiste pourrait devenir agressif à force d'avoir survécu à des agressions. Un hyper agressif pourrait voir son agressivité se réduire avec l'age si son agressivité n'est jamais sollicitée par le contexte dans lequel il évolue. Un I(3 ; 3 ; 3 ; 3) pourrait devenir un I(2 ; 2 ; 3 ; 3) après avoir agressé un I(4 ; 4 ; 4 ; 4) qui l'aurait affaiblit rendu plus pacifique). On peut imaginer aussi qu'un I (2 ; 3 ; 4 ; 4) pourrait devenir un I (1 ; 4 ; 0 ; 4) affaibli, rendu plus agressif par une agression qu'il n'a pas lui même provoquée mais radicalement sédentarisé par cette agression. Ce modèle serait un reflet plus pertinent de la répartition mécanique de l'agressivité dans un groupe. On pourrait imaginer un modèle dont l'état initial essaierait de refléter l'état de l'humanité sur terre aujourd'hui et observer ce qu'il s'en suivrait. Il est évident que ce qu'on appelle répartition finale ne correspond qu'à une fin décidée arbitrairement par le joueur, le jeu pourrait très bien ne jamais s'arrêter tout comme l'histoire ne s'arrête jamais (sauf si toute l'humanité disparaît). Trouvera t'on des évolutions cycliques, instable, stationnaires? C'est un des intérêts du modèle. Ajouter évolution démographique (durée moyenne de vie, taux de natalité, de mortalité).

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