10 mai 2006

Ceci n'est pas la France

NOTE DE LECTURE :

Pauvre de Gaulle ! / Stéphane Zagdanski. Pauvert, 2000. 574 p.


Ceci n'est pas une pipe [version définitive], Magritte (circa 1950)

Vous savez que de Gaulle est devenu un personnage de feuilleton à la télévision. Robert Hossein a porté les exploits du bonhomme à la scène. Max Gallo bien entendu ne pouvait pas en faire autre chose qu’un roman.
Il était grand temps de conchier la statue du Général ; en l'an 2000, en publiant Pauvre de Gaulle! , Stéphane Zagdanski s’est mit en devoir de dessiller les yeux d’une nation qui a eut la faiblesse de se laisser incarner par l’imposture Gaullienne ; entreprise à haut risque que nous saluons chaleureusement. Le narrateur (homonyme de l’auteur) de ce roman est un écrivain qui s’est assigné l’ambition démesurée de dessiller les yeux de la nation française encore aveuglée par l’imposture Gaullienne trente ans après la mort du vieux. Zagdanski affectionne de telles mises en abîme qui l’inscrivent dans la tradition littéraire la plus noble et la plus antique (Homère, Cervantès etc.). Quand on lui demande s’il est essayiste ou romancier (entretiens avec Thomas Régnier, LE CORPS DE L'ECRITURE ) Zagdanski répond qu’il ne fait pas la distinction. La matière de Pauvre de Gaulle! est un alliage qui fond l’exposé polémique et le récit fictionnel ; la scansion des chapitres est rythmée par l’alternance des chapitres polémiques attaquant la figure sacrée du Général à coup d’érudition bien sentie, et de chapitres narrant la vie personnelle de l’écrivain, avec en arrière plan le petit monde parisien des lettres. La fin est délicieuse, vers la 560ème page, le narrateur se réveille d’un sommeil tourmenté et nous comprenons que toute cette histoire était le cauchemar d’un écrivain se voyant peiner sur un livre sur de Gaulle (alors que dans la réalité il est en train d’écrire sur Shakespeare). Cette pirouette finale est plaisante (nous nous sommes délectés de la scène de l’apparition du spectre de Gaulle) et remet au net la distinction auteur / narrateur. Ultime verrou permettant de contrer ceux qui accuseront l’auteur Zagdanski de méchanceté : “ Vous n’avez rien compris, leur répondra-t-il, c’est de la littérature ; l’infâme n’est pas moi, c’est mon narrateur ; dans la vie réelle, je ne suis pas si méchant ; sainte vertu de l’acte littéraire qui prend en charge mes pulsions peccamineuses et me délivre ainsi du mal tout en me donnant mon pain quotidien. ”
Zagdanski est une sorte de fanatique de la littérature; il y croit c’est sa religion ; dans son panthéon ; Proust, Céline, Faulkner, Shakespeare… Dans les entretiens qu’il donne à la presse Zagdanski se conçoit comme lecteur autant que comme écrivain; pour lui plus que l’écriture peut être, la lecture est un acte de résistance, une arme contre la bêtise ( Hors Press, LA SOCIETE VEUT EN FINIR AVEC LA SUBVERSION ).
Les fréquentes références à ses maîtres en littérature mettent mal à l’aise ; son érudition n’est pas à mettre en doute ; mais en provoquant son lecteur jusqu’à l’agacement, celui-ci ne peut se retenir d’évaluer Zagdanski à l’aune de ses maîtres. Et l’on s’interroge sur les exigences quand à sa propre écriture, d’un auteur si prompt à juger celle des autres. Sous ce rapport, j’éprouve à le lire le même malaise qu’en lisant Boileau, sauf qu’avec ce dernier que je n’ai aucun doute sur la qualité de ce que je lis.
Trop assuré du génie des ses maîtres et moins confiant en son propre talent, l’auteur est réduit à ne pouvoir traiter que malproprement un sujet aussi malpropre. Comme si l’inconscience manifeste que de Gaulle avait de sa propre impéritie ne pouvait qu’embraser la fureur d’un Zagdanski en rage de n’être pas Céline.
Au moins dans ses propres ouvrages, peut-être faut-il savoir taire ses admirations ; elles nous font toujours de l’ombre. Mais rien ne nous interdit des les exprimer ailleurs.Malgré cela, les jugements péremptoires de Zagdanski sont arrivés à m’intimider. Et alors que j’incline fortement à penser la littérature comme une vaste fumisterie, je me trouve ébranlé à lire Zagdanski. Je pense que je vais continuer de lire des romans et de la poésie un peu à la façon de ces philistins incrédules qui vont quand même à la messe des fois que Dieu existerait vraiment.

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